Pacifique pas si pacifique (Conquest of Paradise – GMT)

La boite

L’Océanie : ses îles paradisiaques aux plages de sable blanc battues par le calme Océan, ses lagons bleus aux poissons multicolores, ses vahinés… Destination de rêve (pour certains en tout cas) en ces temps de rentrée scolaire :mrgreen: . Mais savez-vous seulement comment et depuis combien de temps elles sont arrivées là, ces vahinés ? Sûrement pas à la nage, me direz-vous… C’est ce que Kevin McPartland se propose de vous faire découvrir grâce à son jeu, Conquest of Paradise (GMT Games).

Migrations austronésiennes
Migrations austronésiennes

Le peuplement de l’Océanie s’est effectué en deux temps, le premier il y a 45.000 à 50.000 ans vers l’Insulinde et le second il y a 3.000 à 3.500 ans en direction du Pacifique à proprement parlé. Le jeu, qui se situe à mi-chemin entre la simulation et le jeu de plateau, vise à recréer cette seconde phase de la conquête du Pacifique au 6ème siècle avant J.-C. et met parfaitement en avant le fait que les austronésiens constituent les premiers grands navigateurs. Il suffit pour s’en convaincre d’examiner les immenses étendues d’eau traversées pour se rendre d’un archipel à l’autre avec femmes, enfants, armes et bagages.

Thème original donc pour un jeu d’histoire (car il s’agit bien d’un jeu de simulation historique comme l’éditeur américain sait les faire), mais sous une forme beaucoup plus abordable pour les habitués des jeux de plateau classiques.

Le jeu est intégralement en anglais mais une traduction des règles est disponible sur le site de GMT, comme à l’habitude chez cet éditeur.

( Mention spéciale à ce titre aux bénévoles qui effectuent ces traductions au fur et à mesure des parutions et permettent une large diffusion des jeux. De nombreux autres produits d’autres éditeurs sont également traduits sur le site Ludistratège. )

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UN MATERIEL DE QUALITE

La matériel

Le matériel est au standard actuel du jeu d’histoire (voir un cran au-dessus concernant la carte), très agréable et lisible. Il se compose d’une grande carte cartonnée représentant le Pacifique, découpé en larges hexagones, d’une trentaine de tuiles hexagonales (les différents archipels), d’une planche et demie, de pions imprimés dans des tons pastels, de quatre aides de jeu et d’un petit paquet de cartes.

Certes, ne vous attendez pas à des petits pions en résine ou en bois façon jeu de construction, ni à un plateau de jeu « en dur » de 2 kg. Il est évident que si un des éléments importants pour vous dans l’achat d’un jeu est le rapport poids /prix, vous risquez d’être un peu déçu. Mais il convient de se rappeler qu’il s’agit d’un jeu publié par un éditeur de wargame et donc tiré à 5.000 exemplaires tout au plus et les coûts de production sont inversement proportionnels au nombre d’exemplaires fabriqués.

La boîte contient également, outre le livret de règles, un livret de notes de conception et de notes historiques très complètes sur lequel j’aurai l’occasion de revenir.

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DES MECANISMES ELEGANTS

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Le plateau.

Les règles sont simples à assimiler et à mettre en place. Elles se décomposent en 8 pages de règles de base et 2 pages de règles optionnelles.

Chaque joueur (jusqu’à 4) représente un peuple du Pacifique occidental (Tonga, Samoa, Iles Marquises et Iles de la Société) et doit explorer l’Inconnu avant de le peupler.

A chaque tour, après avoir déterminé l’ordre de jeu, chacun envoie à tour de rôle son explorateur à la découverte des hexagones vides et pioche un « marqueur de découverte » qui déterminera s’il rencontre ou non un archipel. En cas de découverte, le joueur pioche une tuile hexagonale, la place sur la carte face cachée. Il décide de la révéler ou non aux autres joueurs en fonction de sa valeur et du risque de se la faire usurper par la suite. S’il fait ce choix, il explore un nouvel hexagone.

Pions CoP
Oh hisse !

La limite du nombre d’explorations est gérée par un astucieux mécanisme : au dos de chaque marqueur de découverte apparaissent 1 à 3 noeuds, lesquels s’additionnent au fur et à mesure. Jusqu’à quatre noeuds, l’exploration peut continuer. Cinq noeuds stoppent l’exploration. Six noeuds et plus, et l’explorateur est perdu ce qui obligera le joueur à passer le tour suivant d’exploration.

Une fois cette phase exécutée par tous les participants, vient la phase de mouvement au cours de laquelle chacun va déplacer ses unités : colonies, guerriers, canoës de transports ou de guerre. On circule librement et gratuitement dans tout son empire.Par contre, on dépense des points de mouvements pour se déplacer dans les zones récemment découvertes et non encore contrôlées, ou chez son voisin. Il peut s’ensuivre des conflits territoriaux réglés par les armes d’une façon simple, voire simpliste.

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L’île de Paques…

En effet, les combats sont résolus par un simple jet de dé sans modificateurs. De 1 à 3, l’attaquant subit des pertes. De 4 à 6, c’est le défenseur et ce jusqu’à ce qu’une partie ne dispose plus d’unités capables de combattre. C’est à mon sens le point gênant du jeu, la part de hasard étant trop présente dans les combats.

Enfin, les joueurs procèdent à la construction de villages et d’unités en vue de leur expansion future, sachant que chaque village fournit un point de construction. Il est également possible d’acquérir des « cartes d’arts et culture » apportant des points de victoires supplémentaires.

Le décompte de ces derniers se fait en fin de tour à raison d’un ou de 1/2 point par tuile contrôlée et d’un point par village (outre les points apportés par les cartes d’Arts et Culture). Le jeu s’achève lorsque l’un des joueurs parvient à un nombre de points de victoire requis (22 à 4 joueurs).

UN BON JEU HISTORIQUE

Le Kon Tiki en 1947
Le Kon Tiki en 1947

Sans être un jeu d’une folle innovation, celui-ci fonctionne bien et l’aspect « exploration » est très plaisant. Il n’est pas sans rappeler la mécanique ludique de Tikal (Ravensburger) comme le développement de population rappelle grandement celui de Civilisation (Avalon Hill / Descartes).

Le thème est original et enrichi par le livret de notes de conception détaillé. Chaque tuile, chaque carte bénéficient d’un historique. On peut regretter simplement une bibliographie trop succincte qui aurait mérité d’être un peu étoffée sur un sujet si peu connu. On retrouve également le même principe dans l’excellent Twilight Struggle (GMT Games) de Anada Gupta où chaque carte est détaillée et la raison de sa présence dans le jeu expliquée. Ceci permet, outre de percevoir l’idée du concepteur, de donner un guide stratégique pour l’utilisation de la carte.

Les deux pages de règles optionnelles viennent agréablement compléter les règles de base, prenant en compte notamment la malaria et la découverte de la patate douce ! De même, le numéro 21 du magazine C3i (magazine dédié spécifiquement aux jeux GMT) propose 24 cartes supplémentaires et une page de règles pour simuler les phénomènes naturels et sociaux imprévisibles, ajoutant encore un peu de « chrome » aux règles.

J’ai simplement regretté deux choses : la grande part de hasard dans la résolution des combats (dont j’ai déjà fait état) et le fait que le jeu prenne toute sa saveur à 4 joueurs.

Donc globalement, Conquest of Paradise est pour moi une bonne surprise : je ne peux que vous inciter à prendre la route du Pacifique. Vous constaterez que Heyerdahl sur le Kon-Tiki avait tort !

– Denis Verel alias Droopy.

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