Jeux et moteurs ludiques.
Voilà, un article que j’ai dégoté alors qu’il dormait tranquillement sur le Facebook d’un petit « joueur » nommé Bruno Cathala. Cet article étant tellement impressionnant par sa justesse que je me suis permis, avec l’accord de son auteur, de vous le présenter ici.
Mercredi 1 Octobre 2008, à 17:42
Vers LE mécanisme universel ?
Lorsque l’on aime les jeux, on s’intéresse très vite à leur fonctionnement. Le fameux : « mais comment ça marche ? » Et donc, de façon très logique, spécialistes et passionnés de tous bords se sont peu à peu transformés en médecins légistes, pour disséquer et extraire avec enthousiasme les mécanismes principaux des jeux qu’ils affectionnent, afin de mieux en comprendre les fonctions vitales.
Ainsi, on répertorie aujourd’hui une multitude de mécanismes d’enchères, de majorités, de bluff, de choix simultanés, de rapidité, de programmation, de connexion, et bien d’autres encore.
Ce travail d’analyse et de classement, s’il est réellement intéressant, n’est pas suffisant pour vraiment comprendre le fonctionnement d’un jeu.
En effet, et si cette analyse nous faisait passer à côté de l’essentiel, à côté de la substantifique moelle ? Et si tous les mécanismes cités ci-dessus n’étaient que des micro-mécanismes au service d’un macro-mécanisme présent dans tous les jeux ? Dans une analogie mécanicienne, et s’ils n’étaient que la mécanique du moteur ? Or, une belle mécanique ne va pas très loin s’il n’y a pas de carburant !!
Et si ce carburant, présent et indispensable à l’équilibre de tous les jeux était… LA FRUSTRATION !!!
Pour illustrer ce propos, prenons quelques exemples :
Commençons par un des derniers gros succès du box-office : Les aventuriers du rail.
Au-delà d’un système de jeu très simple, les éléments générateurs de frustration sont nombreux :
Tout d’abord le choix de l’action… à chaque tour, on ne peut faire que l’une des trois actions disponibles… Or pour se rapprocher de l’objectif final, on aurait à chaque fois besoin, pour être confortable, d’en effectuer au moins deux des trois… Donc choix obligatoire et frustration !!!
Ensuite, pour réaliser les différentes liaisons, il faut collectionner un nombre suffisant de cartes de la même couleur… et comme par hasard, le joueur qui vous précède s’évertue à piocher la dernière carte qu’il vous faut… d’où frustration.
Enfin, alors même que vous venez de récupérer la bonne combinaison de cartes qui va vous permettre de poser la liaison ferroviaire et réaliser votre objectif, un adversaire y dépose ses propres wagons, anéantissant vos espoirs. Là encore, frustration.
Bref, tout au long de la partie, le joueur se retrouve confronté à ce sentiment de frustration face à un objectif ponctuel ou à plus long terme, qu’il sait avoir une chance de réaliser, mais sans certitude. Parfois ça passe, et la joie est là, parfois ça casse, l’objectif devient inaccessible. Ce n’est pas grave : au moins pendant un long moment on a pu espérer réussir. Notez que les extensions ajoutent encore des actions possibles, et donc de la frustration. Eh, oui encore ! (et non « Oh oui encore ! » :eek : )
Prenons ensuite l’exemple des jeux avec points d’action. On dispose d’un capital pour réaliser les actions de son choix lors de son tour de jeu (on peut citer, par exemple, la trilogie de Kramer : Tikal, Java, Mexica ou encore Sans foi ni loi…). Avez-vous remarqué comme il est curieux, sur chacun de vos tours de jeu, qu’il vous manque juste les un ou deux points nécessaires pour faire exactement ce dont vous auriez envie sur ce tour ? Ce n’est pas un hasard. Mettre les joueurs en sous-capacité par rapport à leur stratégie les amène à faire des choix, des choix frustrants, mais c’est cela qui crée la tension nécessaire au jeu.
Evidemment, l’avocat de la défense pourra objecter : si la frustration était réellement ce mécanisme universel qui fait « tourner » tous les jeux, alors il serait possible de réaliser des jeux « parfaits » plaisant à tout le monde !!! Mais la réalité n’est pas si simple : en effet, ce serait aller un peu vite en besogne et oublier que chaque individu n’a pas le même rapport à la frustration. Ce qui est le juste niveau acceptable de certains devient totalement insupportable pour d’autres.
A nouveau prenons des exemples :
Les colons de Catane est un succès commercial qui n’est plus à prouver avec ses millions d’exemplaires vendus. Pourtant, il n’est pas rare de trouver sur le net des avis de joueurs détestant totalement ce jeu. Quelle en est la cause ? Leur capacité individuelle de résistance à la frustration a été dépassée. En effet, la grande majorité de ceux qui n’aiment pas ce jeu met en avant le système aléatoire de production des matières premières, production déterminée par le résultat d’un lancer de dés. Pour cette catégorie de joueurs, jouer est un prétexte à une démonstration de savoir faire tactique et stratégique. Et pour eux, il est insupportable, car trop frustrant, de voir la victoire s’échapper au profit de quelqu’un qu’ils jugent avoir moins bien joué, mais pour lequel les dés auront été plus favorables !
On peut aussi citer la majorité des jeux d’observation rapidité, comme par exemple, Jungle speed ou encore Rasende Roboter. Certaines personnes refusent catégoriquement de pratiquer le moindre jeu de ce type, car le stress généré est trop important, et ils sont frustrés de voir leur adversaire systématiquement trouver la bonne réponse juste un dixième de seconde avant qu’eux-mêmes ne la trouvent. Trop de frustration tue la frustration !!!
Repassez dans votre mémoire tous les jeux que vous aimez, ou détestez, et vous vous rendrez compte, qu’à chaque fois, vous pourrez éclairer sous l’angle de la frustration votre sentiment, positif ou négatif, vis-à-vis de ce jeu. Et n’imaginez pas qu’il soit possible de réaliser un jeu qui n’en contienne aucune part. Il en est des jeux comme de la vie. S’il vous était possible en permanence d’accéder à la totalité de ce que vous pouvez désirer, seriez-vous plus heureux pour autant ?
Alors, pour jouer heureux, jouons frustrés ???
je suis rassuré, je suis un frustré équilibré j’aime presque tous les jeux.
J’avais déjà lu cet article et en tant que créateur novice, il m’avait éclairé pas mal sur la notion d’équilibre d’un jeu. En effet, la limite excitation/ frustration est aussi importante que l’équilibrage des chances entre joueurs.
Par exemple, dans La Terre des Dieux que certains connaissent ici, il est important de considérer qu’un pouvoir d’un héros peut être (et doit être) frustrant pour l’adversaire mais qu’il faut autant s’assurer que le pouvoir soit assez intéressant pour travailler l’adversaire que le pouvoir ne soit pas trop fort pour donner l’envie à l’adversaire de quitter la table.
Certes après, ça dépend des joueurs. Mais je me souviens d’une partie récente où un joueur avait été abasourdi que je passe 2 héros en particulier et qui s’est senti découragé. Bon, j’ai été écrasé à la fin… Mais c’est une autre histoire.
Tout ça pour dire que ce rapport à la frustration est essentiel et je remercie 1000 fois Bruno d’avoir mis le doigt dessus et écrit sur le sujet.
Tiens, je me demande bien qui peut-être ce joueur… , en fait je ne pense pas que tu as été écrasé, je pense plutôt que tu t’es fait pourrir ! Ne jamais être premier dans un jeu où l’on peut se faire pourrir.