Un célèbre penseur a dit à peu près ceci : « Si je veux faire de la coopération, je fais du jeu de rôle, pas du plateau ! »
Certes, c’est un point de vue qui se défend. A ancêtre commun, points communs. Lorsque Saint Gygax créa le jeu de rôle à partir d’un jeu avec figurines, se doutait-il qu’il venait également d’engendrer le jeu de plateau coopératif ?
On ne peut que constater que le jeu coopératif a toujours été présent, avec succès, et se développe de plus en plus ces derniers temps. C’est donc qu’il attire un certain public. Bon d’accord les jeux de plateau se développent, donc forcément le coopératif avec. N’empêche que, le sujet mérite à mon humble avis d’être développé car le coopératif c’est avant tout une autre façon de jouer, un genre que j’affectionne particulièrement et surtout un style de jeu qui permet peut-être d’attirer un nouveau public.
1. Le(s) genre(s) coopératif(s)
Arf, va falloir donner une définition. Selon monsieur le dictionnaire, coopératif signifie « fondé sur la coopération, sur le travail en commun. ». Le travail en commun, voilà un bon point de départ.
A la base, tout le monde sera d’accord, je pense : le jeu, c’est une sorte de compétition amicale où il y a généralement un gagnant et un perdant. Cependant, on peut voir les choses de plusieurs points de vue. Prenons le foot par exemple. Si on se place au niveau du match, on a une équipe qui en affronte une autre, donc on retrouve le gagnant et un perdant (sauf en ligue 1 ). Idem pour toute compétition sportive où l’on retrouve un classement. Les jeux reprennent généralement ce principe qui, au-delà du plaisir du jeu en lui-même, donne un deuxième niveau d’intérêt à une partie : être le meilleur, exploiter au mieux ses capacités et les mécanismes du jeu, ou simplement avoir la chance qu’il faut pour devancer ses petits camarades.
Maintenant revenons au foot. Plaçons-nous, non plus au niveau du match mais de l’équipe. Onze gars en short qui « travaillent en commun » pour marquer des buts et hop, voilà la coopération. Il n’y a plus qu’à transposer ça au jeu. Au lieu de jouer le Roi Arthur qui joue contre Morgane pour faire triompher le bien, on se retrouve avec un groupe de chevaliers qui combattent ensemble pour le royaume et la gloire.
Tout est donc seulement une question de point de vue ? Oui et non car il n’y a pas un, mais des genres coopératifs (comment j’ai trop réfléchi là-dessus 😉 ). Mais voyons d’abord ce qui est commun à tous ces « sous-genres ».
Pour trouver dans le coopératif le même plaisir que dans le jeu d’affrontement (ou plutôt de compétition), il faut que celui-ci ait de bons éléments qui motivent les joueurs. En général, cela passe par une singularisation de ceux-ci. Chacun se retrouve avec des capacités particulières qui le distinguent des autres (Les Chevaliers de la Table Ronde, Heroquest, Pandémie…). C’est le fait d’être singulier au milieu du groupe qui provoque le plaisir du jeu et l’intérêt pour celui-ci : être ensemble mais être unique. Et c’est l’union de ces capacités qui fait la force du groupe.
Viennent alors deux aspects principaux de ce type de jeu : le fait de jouer à chaque fois différemment (en changeant de personnage… houla, « personnage », on se rapproche du jeu de rôle) et l’absence de certaines capacités (certains personnages) dans le groupe . Ceci fait souvent une grande différence dans la façon de jouer (point particulièrement visible dans Pandémie ou Ghost Stories, …) et permet de renouveler l’intérêt de chaque partie.
Autre élément important : si les joueurs gagnent ensemble, ils perdent aussi ensemble. En effet, pour qu’il y ait intérêt à coopérer, il faut qu’il y ait un risque d’échec. Il s’agit souvent d’une course contre la montre (temps imparti écoulé, pile de cartes épuisée, totalité du groupe de joueurs morts 😮 , objectif perdu, rendu inaccessible…).
Tout çà, c’est bien beau, me direz vous, mais on a un peu dévié, il n’y a toujours qu’un genre coopératif ? Et bien non, détrompez-vous.
Après des mois de cogitation intensive, j’en suis arrivé à la conclusion qu’il y a trois sous-genres coopératif s auxquels j’ai trouvé trois noms absolument magnifiques (je vais de ce pas déposer un copyright) :
– [TpU] le Tous-pour-Un : Tous pour un, un pour tous. Tout le monde lutte de concert contre le jeu.
– [TcU] le Tous-contre-Un : Le méchant contre les gentils, avec des rôles clairement définis au départ.
– [TsU] le Tous-sauf-Un : Tous contre le jeu d’accord, mais s’il y avait un traitre dans le groupe ?
Détaillons un peu tout cela…
[TpU] Le Tous-pour-Un : La base du coopératif.
Le seul, l’unique, le vrai. Tous ensemble, jusqu’à la fin. Ici pas de joueur qui écrase les autres parce qu’il a déjà joué trente parties, pas de chance insolente qui fait pencher la balance pour un seul joueur. « Yes we can ! » Quel plaisir de vaincre, surtout dans la douleur. Pas de mauvais joueur possible, si défaite il y a, elle est collective. « On aurait dû faire… Si seulement… On n’a pas eu de chance … » Si on progresse par ses erreurs, le challenge n’en est que meilleur.
Et ceux qui regardent de travers les Hardcore-gamers noyés dans leurs pions et leurs cartes, ne pensez-vous pas que si on leur murmure « Venez essayer, on joue tous ensemble contre le jeu. C’est pas grave si vous avez jamais joué… », ils trouveront peut-être la volonté de faire LE pas supplémentaire pour rejoindre la sect.. euh la communauté des joueurs ? (Ca marche avec les filles tu crois? )
Dernier point sur le Tous pour Un : les enfants. Tous les parents ont connu le dilemme « Je le laisse gagner pour qu’il soit content ou je joue normalement pour ne pas gâcher le plaisir du jeu ? ». Le coopératif est la solution.
[TcU] Le Tous-contre-Un : La personnification du mal.
A mi-chemin entre le jeu d’affrontement classique et le coopératif. Celui qui joue le méchant semble tout puissant prêt à nous écraser. Ici aussi l’union fait la force. Tel Seiya aidé par ses amis, le groupe fait front (Oh mon dieu, la référence ultime). Aucun sacrifice n’est vain. Ici l’adversaire est tangible, il a un visage, un verre de kipik orange à la main. Il nous nargue avec ses hordes de monstres verdâtres et baveux mais se décompose lorsque ceux-ci quittent le plateau de jeu un par un. Et quel plaisir de découvrir les deux facettes d’un tel jeu.
[TsU] Le Tous-sauf-Un : De l’art de la surprise.
Le traître. Le félon. La taupe. Le fourbe. Comment mieux tester la volonté des groupes sinon en les affaiblissant de l’intérieur ? Ici la coopération prend une autre dimension, où le jeu rejoint le rôle. Il faut apprendre à faire confiance, mais jusqu’où ? Décoder les signes, analyser la stratégie d’un adversaire qu’on ne connait pas sans tomber dans la paranoïa. « Je te l’avais dit que c’était lui le félon ! ». Ce genre moins répandu est peut-être le plus intéressant, car il ajoute la petite touche de sensations fortes qui manquent parfois.
2. Historique
Faisons un petit retour en arrière sur l’origine et l’histoire des jeux coopératifs avant de s’intéresser au présent. Attention la liste est loin d’être exhaustive.
« Timeline » des jeux coopératifs
1986
– Le Verger [TpU]
1987
– Horreur à Arkham [TpU]
1989
– Aliens [TcU]
– La Fureur de Dracula [TcU]
1990
– Heroquest [TcU]
– Space Crusade [TcU]
– Taibajan [TpU]
1992
– Les Héros de l’oeil noir [TcU]
1993
– La Ronde du Fermier [TpU]
1994
– Age of Exploration [???]
– Huhuuh [TpU]
1995
– Warhammer Quest [TcU]
1997
– Fléci Flotte [TpU]
1998
– Tifou [TpU]
2001
– Charmed [TpU]
– Le Hérisson Docteur [TpU]
– Le Seigneur des Anneaux [TpU]
2002
– When darkness comes [TpU]
2003
– Terra [TpU]
– Terra Galactix [TpU]
– Vanished Planet [TpU]
2004
– Battlestations [TpU][TcU]
– Betrayal at House on the Hill [TsU]
– Doom : The Boardgame [TcU]
2005
– Les Chevaliers de la Table Ronde [TsU]
– Voleur d’étoiles [TpU]
2006
– Astoria [TsU]
– Descent : Voyage dans les Ténèbres [TcU]
– Horreur à Arkham [TpU]
– Le Château du dragon [TpU]
2007
– Les chevaliers de la tour [TpU]
– La Fureur de Dracula [TcU]
2008
– Battlestar Galactica [TsU]
– Ghost Storie [TpU]
– Pandémie [TpU]
– Space Alert [TpU]
2009
– A Touch of Evil [TpU]
– All Things Zombie: The Boardgame [TcU ???]
3. Et les jeux dans tout ça… ?
Bah oui? Après tout le but caché de cet article, c’est de montrer à tous qu’il y a plein de jeux coopératifs qui existent, et des très très bons. Détaillons quelques-uns des jeux (bon d’accord, ceux que je connais).
– Chevaliers de la Table Ronde (Les) [TsU]
Un précurseur du renouveau. Gloire à Bruno pour avoir su exploiter avec classe (et avec son co-auteur de talent) ce thème fabuleux. Le concept du Félon est un idée remarquable. Le fait qu’il ne soit pas toujours présent, ajoute une tension qui pimente le jeu. Le Mal est suffisamment balèze pour qu’on n’arrive pas les mains dans les poches. On sue a grosses gouttes pour vaincre… et souvent on perd. Mon seul regret ? Ne jamais avoir été félon…
– Descent : Voyage dans les Ténèbres [TcU]
Voir le test ici.
– Fureur de Dracula (La) [TcU]
Mon chouchou. Bon d’accord, c’est parce que je suis vampirophile. Visuellement, il est parfaitement dans l’esprit Dracula/Stoker/Victorien. La chasse au Vampire prend ici tout son sens. C’est une vraie course contre la montre lors de laquelle celui qui incarne Dracula tentera d’échapper au groupe de Chasseurs. Le jeu n’est pas forcément équilibré. Sur la fin, les Chasseurs ont vraiment de gros avantages (en plus du pouvoir de Mina Harker qui est un peu.. euh… abusé). Si on passe sur ces petits défauts, le jeu est un véritable plaisir pour les deux camps.
– Ghost Stories [TpU]
Oh le beau jeu. Doté d’un design magnifique, Ghost Stories a le petit plus qui le distingue des autres : lutter tout le long du jeu sans s’épuiser pour affronter le BFN (boss de fin de niveau) dont l’arrivée est inéluctable (contrairement à HàA). Il faut arriver à tenir face aux vagues de fantômes en gardant/accumulant assez de puissance sous le coude, pour défaire le gros fantôme de la fin. Bien foutu, avec des pouvoirs et des ennemis qui semblent suffisants pour renouveler le jeu. Je n’ai fait qu’une partie mais j’ai été séduit. Le facteur chance n’est-il pas trop présent ?
– Heroquest [TcU]
Qui a ressorti cette vieillerie du placard ? Porte-monstre-trésor. Des missions. Des perso qui évoluent. Sympa pour initier les plus jeunes mais bon, ça reste une relique (comme Talisman).
– Horreur à Arkham [TpU]
Complètement cthulhuesque. Dans HaA on retrouve tout ce qu’on aime chez Lovecraft et surtout dans le jeu de rôle « l’Appel de Cthuhlu ». Du bon gros jeu avec des tonnes de pions. La diversité des personnages, des grands anciens et des cartes événements permet de faire des parties réellement différentes. Du haut de gamme coopératif malgré des éléments parfois un peu lourds (bon on en est où dans le tour ?). Et en plus y a des extensions, de qualités diverses certes.(celle de Dunwych, avec le plateau supplémentaire, mériterait à mon avis d’être réétudiée).
– Pandémie [TpU]
Voilà un jeu qu’il est bien. Mais qu’il est dur aussi… Heureusement qu’on peut doser la difficulté. Pandémie est un excellent jeu car c’est sans doute un de ceux ouùla stratégie change le plus suivant le nombre de joueurs et les personnages utilisés. Les mécanismes de propagation des maladies sont redoutablement bien étudiés. On peut reprocher l’aspect un peu austère et une certaines lassitude quand on y joue beaucoup. Mais quand on est plongé dans une partie, on y reste accroché jusqu’au bout.
– Space Crusade [TcU]
L’ambiance Alien, les couloirs sombres, la confiance du groupe de marines surarmés qui s’effritent petit à petit face au sourire vicieux de l’adversaire. Certes, il a pris un coup de vieux au niveau des mécaniques de jeux. Mais cela reste un plaisir de déployer ses (maigres) forces dans les longs couloirs métalliques, piétinant Orques et Gretchins en attendant l’apparition tant redoutée du Dreadnought.
– Verger (Le) [TpU]
Le jeu parfait pour les petits. Un jardin, des fruits à ramasser et un corbeau affamé. Chaque joueur à tour de rôle lance le dé. S’il tombe sur un fruit, il le ramasse. S’il tombe sur la face panier, il en ramasse deux. Si c’est le corbeau… on ajoute une pièce du VVV (vilain volatile vorace). Si le corbeau est complété avant que les joueurs récupèrent tous les fruits, le jeu est perdu. Simpliste et pourtant. C’est incroyable de voir les enfants se prendre au jeu, trembler à chaque morceau de corbeau qui apparaît. On trouve ce jeu dans toutes les écoles maternelles, je pense. Un must pour initier les plus petits au plaisir du jeu.
4. Et demain ?
« Le Seigneur des Anneaux » et les « Chevaliers de la Table Ronde » ont vraiment secoué le genre, entrainant les nouvelles éditions de « Horreur à Arkham » et de « la Fureur de Dracula ». « Pandémie » et « Ghost Stories » sont d’indéniables succès. Mais après ? Que nous réserve le futur du jeu coopératif ? Qui aura la nouvelle idée du siècle ? Avec le nombre de jeux qui sortent chaque mois, les auteurs et éditeurs ne peuvent pas se contenter d’un coup de pinceau pour dépoussiérer le genre.
Pourquoi pas un coopératif « Star Wars » avec des missions ? Un jeu avec une évolution à travers les âges (découvertes scientifiques, explorations) ? Un jeu où la dépendance des joueurs les uns par rapport aux autres serait plus forte ? Les gens de talents ne manquent pas. Nul doute que 2009-2010 nous réserveront leurs lots de surprises.
5. Pour conclure :
Tout ce bla-bla pour dire quoi en fait ? Pour dire que si le jeu est avant tout un plaisir de jouer avec ses amis ou sa famille, il est possible de jouer doublement ensemble plutôt que les uns contres les autres. Pendant une ou deux heures de jeu, on forme un groupe, un vrai…
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Petite note du relecteur : mes petites allusions aux filles et aux femmes, n’étaient absolument pas ironiques. En effet, je suis en train de lire : « Les hommes viennent de Mars et les femmes de Vénus », et qu’y apprend-t-on (attention je résume à la hache) :
- que les hommes ont besoin de compétition, pour qu’on reconnaisse leur compétence, ils préfèrent résoudre leur problème seul…
- et que les femmes ont besoin de parler de leurs problèmes. Elles ont besoin d’attention et non de compétition … qui a dit de collaboration… jeux collaboratifs… et voilà le virus du jeu 😮 .
Voilà un bel état des lieux de l’horizon ludique en matière de coopération! Particulièrement les cartégories « Tous pour un », « Tous contre un » et le très bien formulé « Tous sauf un ».
L’exemple du match de foot me semble toutefois mal choisi : il s’agit d’un jeu de compétition par équipes, tout simplement. Tout comme la quasi-totalité des jeux de plateau peuvent se jouer par équipes.
Très bel article qui présente très bien les jeux coopératifs !! Tu as du y passé du temps sur l article, car il est super bien documenté !!
Je rajoute à la liste des jeux coopératifs, je vous laisserai le classé, Novembre Rouge :
On est une équipe de nains a bord d un sous marin a la dérive et il faut réussir à ne pas couler avant l arrivé des secours. jusque la, un jeu de coopération classique, mais il peut y avoir un traite, ou un héros !! je m explique : il se peut que le sous marin se fasse attaqué par le Kraken, alors seul 2 personnes maxi pourront sortir avec un Scaphandre pour soit tué le monstre, soit s échapper et ainsi ne pas sombré avec le navire. En plus seul le premier a sortir avec un scaphandre peut s’échapper !!
Prochainement un test de ce jeu
Très intéressant !
J’ai un peu honte d’écrire des articles à la volée…
Coucou à tou-te-s.
Très bel article, aussi belle distinction « TPU-TCU-TSU ». J’adore autant les jeux de coopération que j’adore les jeux de compétition. Je passe le parallèle étroit que je m’escrime à faire entre Jeux (de compétition), sport et libéralisme. Et j’observe avec un plaisir certain le retour en force du jeu coopératif.
J’étais resté sur les Haba, Herder Spiele et Ravensburger (qu’il faudrait peut être ici compléter car il y en a beaucoup-beaucoup plus) pour les petits … mais aussi sur Heroquest et toutes ses extensions … mais encore Space Crusade, Héros de l’Oeil Noir, Horreur à Arkham, Fureur de Dracula et autres T’chang voici 15-20 ans.
Et depuis peu, avec Les Chevaliers de la TB (+ Merlin), Doom (+ extension), Novembre Rouge, Space Alert, LSDA (+ ext.), Descent (+ ext.), Ghost Stories (+ ext.), Pandémie (+ ext.), Salem … que je me suis procurés … on passe des moments véritablement formidables.
D’autant plus qu’Haba a poursuivi son travail pour les petits rejoint à présent par d’autres éditeurs très connus ou un peu moins.
Encore merci. Solidairement, Boko