Ho hisse ! Et une bouteille de …. Schnaps ?! (The Kaiser’s Pirates)

Lorsqu’on évoque pirates et corsaires, on pense immédiatement à la marine à voile et aux Caraïbes. Pourtant, les corsaires ont existé à une époque bien plus proche de nous puisqu’ils écumaient encore l’Atlantique en 1914, pour des motivations et avec des moyens à peine différents. En effet, de nombreux paquebots et cargos allemands furent utilisés pour attaquer les navires alliés, s’approchant de leurs cibles comme d’inoffensifs navires civils avant de les arraisonner à l’aide leurs canons camouflés. Et comme trois siècles plus tôt, la Royal Navy tenta de les en empêcher.

GMT nous offre aujourd’hui un jeu de cartes pour 1 à 4 joueurs, prenant pour cadre cette épopée.

Dans la cale…

Si Avalanche Press avait en son temps simuler la guerre de course durant la Première Guerre Mondiale, c’était sous la forme d’un wargame classique « avec pions et cartes ». GMT le fait aujourd’hui sous la forme d’un jeu de cartes conçu par James Day. Il s’agit en fait d’une réédition d’un jeu publié par Strikenet Games. Autant le dire immédiatement, le jeu est un véritable « appel du pied » en direction des joueurs de jeux de société. La composante historique n’en est pas moins présente.

Le Berlin, "liner" converti en corsaire

La boîte paraît à l’ouverture un peu vide puisqu’elle ne contient que quatre paquets de cartes : 100 cartes « action », 60 cartes représentants les navires de commerce, 20 cartes représentant les corsaires et les navires de guerres allemands et 20 cartes pour le jeu en solitaire. Quatre paires de dés, une dizaine de petits cube en bois rouge et noir, une aide de jeu résumant les effets des cartes « action » et un livret de règles viennent compléter le tout. Les cartes sont d’excellente facture et très bien illustrées. Chaque navire est individualisé et des mentions historiques les ponctuent, indiquant le tonnage, l’armement, le nom du commandant, et le sort historique du navire. Plus surprenant, même le l’arrière-plan des cartes « actions » est personnalisé suivant le type d’acte qu’elles évoquent !

Les règles principales représentent 7 pages et se lisent rapidement. Néanmoins leur organisation est assez déroutante et il faut un peu de concentration pour bien saisir tous les mécanismes. Heureusement, ce (léger) défaut est compensé par un clair et large exemple de jeu. A la suite, de cette première partie on trouve de courtes règles de jeu en solitaire qui viennent compléter les règles de base, accompagnées de nouveau d’un exemple de jeu. Enfin une série de règles optionnelles plutôt simples permettent d’amener un peu de « chrome ».

La salle des machines

Le jeu présente est jouable soit individuellement en face à face jusqu’à quatre joueurs, soit par équipe de deux, soit en solitaire moyennant une légère adaptation des règles et l’utilisation d’un paquet de cartes spécifiques. Je reviens plus loin sur cette dernière possibilité dans la mesure où elle m’est apparue comme l’une des réussites du jeu.

Une partie se joue en trois manches. Chaque joueur joue à la fois le rôle allemand et allié. Il lui est affecté trois corsaires/navires de guerre allemands et trois navires de commerce alliés dont qu’il dispose devant lui. Le but est bien évidemment de couler ou de capturer le maximum de navires alliés chez ses adversaires mais également de se débarrasser de leurs corsaires/navires de guerre. Outre le fait que cette dernière possibilité permet de gagner plus de points (moyennant un risque plus important), elle affaiblit grandement les adversaires. En effet, si les navires de commerce sont remplacés au fur et mesure de leur disparition, les navires sous pavillon allemand ne le sont pas avant le début de la manche suivante ! En d’autres termes, si vous perdez le puissant Dresden dès le début de la manche pour ne conserver que le Seeadler, faible navire à voiles, vous aurez beaucoup de mal à menacer les lignes maritimes anglaises. Cela s’avérera encore plus dure si vos trois navires sont envoyés par le fond. Heureusement quelques cartes « action » permettent d’ajouter à sa flotte corsaire un voire deux navires.

Le cœur du jeu se situe dans ce paquet de cent cartes « action ». Les cent cartes ne sont pourtant pas toutes utilisées à chaque manche : un certain nombre sont ôtées au début de chaque round suivant le nombre de joueurs (20 à 4 joueurs, 40 à 3 et 60 à 2 joueurs). Ceci présente deux avantages : d’une part il est créé ainsi un certain brouillard de guerre en faisant varier aléatoirement la composition de la pioche. D’autre part cela limite la manche à une durée raisonnable.

Chaque carte peut être utilisée de deux façons différentes. Elle peut être joué pour l’évènement qu’elle représente, auquel cas le joueur la place devant lui pour lire le texte inscrit horizontalement. Chaque carte peut également être utilisée pour procéder à une interception et dans ce cas la carte est placée afin de lire le texte vertical. Cette petite astuce s’avère bien utile et évite toute contestation au cours du jeu.

Les événements sont de trois natures, somme toute très banales. Tout d’abord des événements jouables à son tour. Il s’agit de cartes permettant d’obtenir un navire de guerre supplémentaire, d’effectuer une attaque par sous-marin, de se ravitailler, etc. Ensuite, des événements de réaction, jouables « en contre » et qui permettent d’annuler ou de limiter les événements joués par l’adversaire (fuite parmi les récifs, navire marchand armé…). Enfin, les cartes permettant d’apporter un avantage lors d’une interception (découverte d’un convoi, mouillage de mines…)

Le Leipzig, navire de guerre

Une carte jouée en interception permet de tenter d’attaquer soit un navire de commerce, auquel cas elle doit être affectée à un corsaire/navire de guerre, soit un corsaire/navire de guerre et dans ce cas elle représente un bâtiment britannique (dont les caractéristiques se trouve sur la carte) et se suffit à elle-même. C’est dans ce dernier cas que la distinction corsaire/navire de guerre prend toute son importance. Un navire de guerre allemand peut être attaqué systématiquement puisqu’il est identifié comme tel en permanence. Le corsaire est en revanche un navire civil ayant été armé mais battant toujours pavillon civil. Il doit donc avoir été identifié préalablement à l’aide d’une carte événement. Dans ces conditions, la chasse au corsaire s’avère très vite onéreuse en cartes actions, même si elle est assez payante en termes de points. Elle finit même par être frustrante si la main n’est pas favorable. Or, il y a finalement peu de cartes permettant l’identification des corsaires (7 sur les 100).

Ce coût en cartes action est un des éléments critiques dans la stratégie de chaque joueur. Une main de six cartes est distribuée en début de chaque round et il n’y a aucune limite de carte à jouer à son tour. Mais cependant une seule carte est piochée en fin de tour. La gestion de sa main est donc importante non seulement pour pouvoir continuer d’attaquer mais également pour conserver quelques cartes de réaction et éviter ainsi toute mauvaise surprise. Une petite particularité ajoute un peu de suspens. Toutes les cartes jouées doivent être déposées face cachées devant le joueur avant d’être révélées au fur et à mesure de leur réalisation. Toutes seront défaussées qu’elle ait été révélées (ou non).

La résolution des combats et des événements se fait selon un mécanisme original utilisant plusieurs types de dés de couleurs différentes (bleu à 10 faces, vert à 8 faces, blanc à 6 faces et rouge à 4 faces). Les cartes d’action comme les cartes navires comportent sous forme graphique des valeurs de combat (attaque et défense) ou de test (challenge et réponse). Par exemple la valeur d’attaque du Dresden sera signifiée par un dé bleu (10 faces) un dé vert (8 faces) et un dé blanc (6 faces) et sa valeur de défense par un dé vert (8 faces), A chaque combat les deux joueurs lancent les dés indiqués et retiennent celui dont la valeur est la plus élevée. Celle-ci sera éventuellement modifiée par divers facteurs (surprise, dégâts, nuit…). Ensuite de quoi les résultats sont comparés : si le résultat de l’attaquant est strictement supérieur à celui du défenseur, le navire de ce dernier est endommagé et reçoit un petit cube rouge. Si la différence est du double, le navire est coulé et rejoint la pile de point de victoire de l’attaquant. Si le résultat du défenseur est supérieur le navire s’échappe.

A l’issue du combat, tout navire intact réalise un test pour déterminer s’il arrive à bon port sans nouvelle mauvaise rencontre. Si c’est le cas, il rejoint la pile de victoire du défenseur. D’où l’intérêt de ne pas laisser échapper sa proie, même si le test est difficile.

Un navire peut être capturé moyennant le jeu d’une carte d’événement appropriée en plus de la carte d’interception. En cas de succès, le navire rejoint la flotte corsaire du joueur en tant que navire de prise suivant peu ou prou les mêmes règles. Il rapportera le double de points lors du décompte, à condition qu’il franchisse le blocus anglais selon les mêmes modalités qu’un navire qui s’évade … et le jeu d’une carte événement !

Les tests d’événement se réalisent de la même façon : le joueur souhaitant obtenir un effet lance le type et le nombre de dés indiqué dans la pièce « Challenge » et son résultat est comparé au jet réalisé avec le  type et le nombre de dés indiqué dans la pièce « Réponse » (un des adversaires effectuant le jet),

On l’aura compris, la part de hasard tout au long de la partie est finalement relativement importante : hasard de la distribution des carte, hasard des dés (même si celui est en partie limité par les choix qui sont effectués pour procéder aux attaques).

La manche se termine lorsque la dernière carte de la pioche est tirée. On procède alors au décompte des points de victoire de chaque navire. Le joueur ayant le meilleur score marque un nombre de point égal au nombre de joueur (à 4 joueurs 4 points donc), le second  un nombre de point égal au nombre de joueur moins 1 (3 points pour 4 joueurs) et ainsi de suite. Le gagnant de la partie sera celui qui aura marqué le plus de points au total, les points de victoire des navires servant simplement à départager les ex-æquo. Un tel mécanisme évite notamment de creuser un écart trop important entre les joueurs dès la première manche et laisse toujours la possibilité « de revenir au score ».

Contenu de la boîte

Le jeu prend bien sûr réellement tout son intérêt à quatre joueurs. Les interactions y sont plus nombreuses du fait d’un nombre de cartes « action » en jeu et de cibles beaucoup plus variées.  Le jeu en équipe de deux présente le plus d’intérêt. En effet, il permet de cumuler les avantages du jeu à 4 joueurs tout en créant réellement deux camps. De fait cette disposition oblige une certaine coordination dans l’action entre les deux partenaires et contribue à la sensation de jouer contre la Royal Navy lorsque c’est son tour et contre la Kaiserliche Marine lorsque ce n’est pas le sien. Ce jeu en équipe, très original, apparaît  à mon sens comme la configuration de jeu la plus adaptée.

L’un des avantages certain de The Kaiser’s Pirates est la possibilité d’y jouer en solitaire. Pour ce faire, un paquet de 20 astucieuses cartes a été ajouté. La partie se déroule face à un joueur fantôme selon des règles quasiment identiques au jeu multi joueur. Cependant le joueur fantôme ne dispose pas de main à proprement parlé. Ses actions sont gérées par les cartes « solo ». Celles-ci comportent deux parties : l’une pour les actions de défenses l’autre pour les actions offensives.

A chaque interception de la part du joueur, une carte « solo » est piochée, un dé à 4 faces est lancé et il y a une chance sur deux qu’une réaction ait lieu. Cette réaction, inscrite dans la partie défensive de la carte « solo », correspond à l’une des cartes « de contre » du jeu multi joueur.

Lorsque vient le tour du joueur fantôme, une carte solo est tirée un dé à 4 faces lancé permettant de sélectionner une des 4 colonnes de la partie offensive de la carte. Cette colonne précise le type d’action entreprise (interception ou jeu d’un événement inscrit dans la colonne). Elle peut également indiquer que le tour du joueur fantôme se termine. Tant que cette dernière mention n’apparaît pas et qu’il existe une possibilité d’action, une nouvelle carte « solo » est piochée. En cas d’interception, la moitié des cartes « solo » comportent également des indications permettant de simuler les cartes d’assistance.

Le jeu se déroule en trois manches et le décompte des points se fait de la même façon que pour le jeu multi joueur. Au final, on a l’impression de jouer face à trois adversaires et la partie est assez tendue. Au cours de mes parties solitaires, il n’a pas été rare d’en perdre une sur deux !

Conclusion

Un joueur mal en point...

Alors pour finir que penser de The Kaiser’s Pirates. Vrai wargame ou jeu de société ? Tout dépend de la définition que l’on donne du wargame. Clairement celui qui recherche l’historicité et la précision en sera pour ses frais. Ces éléments, même présents par le biais des événements et des mentions sur les cartes « navires » ne permettent pas de simuler pleinement le jeu de cache-cache auquel se sont livré la Royal Navy et la Kaiserliche Marine dans l’Atlantique. En outre, le phénomène du ravitaillement est assez peu présent, alors qu’il a joué un rôle crucial au cours des opérations. Le jeu passe essentiellement par la bonne connaissance des différentes cartes d’action et la gestion intelligente de sa main. Encore faut-il que le hasard vous fournisse les bonnes cartes au bon moment, hasard qu’on retrouve également dans la résolution des combats. Le jeu peut ainsi laisser parfois la sensation d’un Mille Bornes amélioré.

Néanmoins The Kaiser’s Pirates a le grand mérite de faciliter l’accès du jeu d’histoire à des joueurs qui n’y sont pas habitués. En effet, il est impossible de nier l’importance du fond historique du jeu. En outre il est simple, graphiquement et esthétiquement agréable proche des standards européens. De vieux briscards peuvent également y trouver leur compte dans ce jeu léger et rapide portant sur un thème historique. En outre, une mention particulière s’impose pour le jeu en solitaire qui laisse l’impression de faire une partie à 4 joueurs.

En tout état de cause, on sent parfaitement l’effet de la politique de diversification engagée par GMT depuis quelques temps, politique à mon sens indispensable pour permettre de pouvoir développer des wargames plus classiques et d’attirer de nouveaux joueurs vers le  hobby.

Cet article a déjà été publié par Droopy, alias Denis Verel, dans Vae Victis, une revue spécialisée dans le jeu historique.

6 réflexions sur « Ho hisse ! Et une bouteille de …. Schnaps ?! (The Kaiser’s Pirates) »

  1. Bravo a Droopy pour son article !! il m a vraiment donné envie d essayer le jeu.

  2. @karadoc
    J’essaierai de nouveau d’organiser une partie dans les semaines à venir et tu seras le bienvenu. Mais « anglais lu » obligatoire… (ce n’est cependant pas très difficile)

  3. Ça m’a l’air bien sympa ! mais 48€ en boutique, j’espère qu’il en vaut la chandelle !
    Sinon y a t-il un lien avec les règles en VF ?

  4. Personnellement je ne connais pas de traduction de la règle, mais elle existe peut-être ?

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