« Now the trumpet summons us again–not as a call to bear arms, though arms we need; not as a call to battle, though embattled we are–but a call to bear the burden of a long twilight struggle (…) »
(John F. Kennedy – Discours d’investiture du 20 janvier 1961)
(Maintenant la trompette nous convoque de nouveau – non en un appel à porter les armes, quoique nous aurons besoin d’armes, non en un appel à la bataille, bien que nous soyons engagés dans un combat – mais en un appel à porter le fardeau d’une longue lutte crépusculaire […])
Twilight Struggle, la lutte crépusculaire… telle est la définition de la Guerre Froide donné par GMT pour son jeu qui y est consacré (même si l’expression n’était pas destinée à la décrire dans le discours de Kennedy…). Twilight Struggle tombe parfaitement dans la définition du jeu de simulation historique. Ni jeu de plateau, ni wargame, il n’en demeure pas moins l’une des grandes réussites de l’année 2006 tant par son sujet original que par ses mécanismes novateurs. Réédité déjà trois fois, il va bénéficier prochainement d’une nouvelle édition en version Deluxe (comprenez aux standards européens) et peut-être d’une édition française par un éditeur … allemand (UGG pour ne pas le nommer).
Mais quelle est cette bête étrange aux multiples récompenses qui a enthousiasmé (et continue d’enthousiasmer) votre humble serviteur ?
Twilight Struggle vise à simuler le déroulement de la Guerre Froide de la fin de la Seconde Guerre en 1945 à la chute du Mur en 1989. « Vaste programme » comme aurait dit un certain général et c’est vrai que lors de l’annonce de la sortie du jeu, j’étais resté perplexe. En effet, comment prétendre simuler un conflit pour lequel il n’y a jamais eu de confrontation directe, ni de champ de bataille ?
C’est le tour de force que sont arrivés à réaliser Ananda Gupta et Jason Matthews grâce à … un jeu de cartes ! 110 cartes représentant à la fois 110 événements historiques et 110 possibilités d’effectuer des actions constituent effectivement le cœur du jeu. On trouve par ailleurs dans la boîte une grande carte du monde et 238 marqueurs de jeu. Je ne m’arrêterai pas sur la qualité du matériel, celui-ci ayant reçu apparemment un lifting bien mérité pour l’édition Deluxe.
Le jeu se joue en 10 tours représentant environ 5 à 7 ans d’histoire. Deux joueurs se font face, l’un représentant l’américain (en bleu), l’autre le soviétique (en jaune… non je plaisante : en rouge).
Le monde est donc divisé en 7 grands secteurs (Afrique, Moyen-Orient, Europe, Asie, Amérique du nord, centrale et du sud). Chaque secteur est lui-même divisé en pays ou groupe de pays qui devront être influencés et contrôlés, permettant ainsi d’obtenir une présence voire une domination sur le secteur. Pour ce faire, chacun investit des points d’influence dans les différents pays jusqu’à atteindre un seuil, différent suivant le pays (de 1 à 5). Régulièrement des cartes de décomptes de points concernant l’un ou l’autre des secteurs sont jouées. Elles obligent les adversaires à déterminer qui dispose de la domination sur ledit secteur et qui engrangera donc des points de victoire.
C’est grâce aux cartes que les points d’influences peuvent être investis et les pays influencés. Le paquet de cartes se décompose en trois éléments qui entrent en jeu successivement aux tours 1, 4 et 7 (début de guerre, milieu de guerre, fin de guerre) Ce système permet de garder une certaine ligne historique et d’éviter ainsi que la guerre du Vietnam n’intervienne dès 1945 ou que le pont aérien de Berlin ne se produise en 1989 (voir cours d’histoire de Terminale … S 😮 ).
Chaque carte comporte donc à la fois un événement et un nombre de points d’action (de 1 à 5). Ceux-ci servent à s’implanter dans un pays, influencer un gouvernement, voire provoquer coup d’état. Mais seul l’un des deux peut être joué à la fois. Pire : chaque événement s’applique en faveur de l’un ou l’autre camp (parfois des deux). Si on joue une carte dont l’événement est favorable à l’adversaire pour les points qu’elle représente, l’événement s’applique quand même ! Ce qu’on obtient d’un côté, vous est retiré de l’autre et tout le jeu va consister à arbitrer ce dilemme. En outre, tous les événements de son camp sont intéressants : il faut donc arbitrer aussi entre jouer la carte pour les points ou pour l’événement. Vais-je embourber le Russe dans la guerre d’Afghanistan ou utiliser les 3 points pour renforcer mon influence au Nicaragua ? L’avantage de provoquer un coup d’état au Yémen n’est-il pas annulé par le fait que la Déstalinisation va avoir lieu faisant dégringoler mon influence dans les Pays de l’Est ?
Tout devient une question d’arbitrage et rend le jeu extrêmement tendu, cela sous la menace de la guerre atomique. En effet, l’échelle DEFCON de risque nucléaire ne va cesser d’osciller entre 5 (la Paix) et 1 (le Jugement dernier) en fonction des coups d’état et des guerres dans le monde. Celui qui fait basculer le monde en DEFCON 1 volontairement ou non, perd immédiatement la partie. Heureusement, pour compenser, il est toujours possible d’investir une fois par tour dans la course à la Lune, cela permet de se défausser de sa carte la plus gênante. La Chine jouera également le rôle de bascule influençant alternativement les camps.
Une échelle de points courant de -20 à 20 permet de déterminer l’état de la partie. Le jeu se termine de quatre façons : par la mort subite d’un joueur si l’adversaire domine l’Europe lors d’un décompte de points, par le fait d’atteindre 20 points (américain) ou -20 points (soviétique) à la fin d’un tour, par la guerre nucléaire et enfin, au 10ème tour. Si la mort subite est possible, elle est néanmoins rare entre joueurs connaissant le jeu. Le jeu s’arrête plutôt au tour 8 ou 10, soit au bout de 3 h de jeu en moyenne.
Twilight Struggle reste un moyen ludique de se remémorer ou de redécouvrir un conflit que beaucoup d’entre nous ont vécu. Pour les plus jeunes (moins de 25 ans en tout cas), c’est un moyen de mieux comprendre cette époque qui est celle de leurs parents : James Bond, la Dame de Fer, Nina Hagen, le Reaganisme, Brejnev et la guerre d’Afghanistan (celle de 1979 évidemment)… C’est incontestablement l’un des meilleurs outils pédagogiques ludiques sur le sujet à ce jour.
En parallèle, je ne saurai trop vous conseiller la lecture de La Compagnie, roman de Robert Littell, lequel n’est autre que le père de Jonathan Littell, prix Goncourt 2007 avec Les Bienveillantes. Il s’agit d’un roman d’espionnage qui suit la ligne historique de la CIA. On y suit une huitaine de personnages fictifs de 1950 (leur entrée dans la Compagnie) à 1993, dans 6 parties correspondant à un événement marquant (Berlin, Budapest, la Baie des Cochons, l’Afghanistan…) où ils croisent diverses personnalités réelles. Le fil rouge est la présence d’une taupe haut placée au sein de l’organisation. On se reportera également utilement à toute la littérature d’espionnage, notamment celle de John LeCarre. En plus sérieux et pour les plus courageux, les ouvrages de Soljenitsyne et de Chalamov.
D’un point de vue plus scientifique, on a vu fleurir pléthores d’études sur le sujet depuis la (courte) ouverture des archives russes notamment. On citera entre autres André Fontaine et sa Guerre Froide 1917-1991 (Pocket) et l’Atlas de la Guerre Froide aux éditions Autrement.
Enfin dans un registre ludique plus simple mais très plaisant et sur le même sujet, vous pourrez vous essayer à Guerre Froide : CIA vs KG (Ubik).
Merci, j’avais deja bien envie de ce jeu 🙂
ca semble aussi ressembler un peu à 1960, non ?
vivement une VF, et, là, je place quelques euros 🙂
En fait, c’est plutôt 1960 qui lui ressemble.
Mais sinon c’est le même principe de « card driven », en un peu plus touffu.